La mondialisation peut se définir par une amplification des échanges, une mise en compétition des systèmes économiques. Cette amplification et cette compétition sont en partie dues au développement des technologies de l’information et de la communication (TIC), au développement des réseaux qui favorisent ainsi l’échange et le transport. La mondialisation traduit un moment historique où l’Homme prend conscience de son interdépendance.
La mondialisation est-elle un phénomène ressent ou non ? A la fin de la première guerre mondiale, le montant des transferts économiques internationales est tel, que l’on peut penser que ce trouve ici le début de la mondialisation. En effet, selon Daniel Cohen, dans son ouvrage « La mondialisation et ses ennemis », le niveau d’exportation des capitaux est supérieur en 1915 que dans les années 1990. Par exemple, en 1915, la moitié de l’épargne anglaise et un quart de celle des français est investi à l’étranger. De même, aujourd’hui, les migrants sont trois fois moins nombreux qu’au 19ème siècle. Contrairement aux idées reçues, les voyages d’aujourd’hui sont de courtes durées. En fait, ce qui nous donne l’impression de connaître le monde sont les technologies qui nous permettent d’accéder à une information globale et universelle. Cependant, tout cela reste superficiel, et l’on est loin de connaître l’autre ou l’ailleurs parfaitement.
Il faut remonter un tout petit peu plus loin dans le temps pour trouver les prémices de la mondialisation. L’expression allemande « die Weltpolitik » à la fin du 19ème siècle montre que les pays d’Europe sont en train de se mondialiser et à partir de 1870, l’Allemagne engage une politique impériale et mondialiste afin de rattraper le Royaume Uni et la France. C’est d’ailleurs ce regain de suprématie et ces confrontations qui entraîneront les grandes nations industrialisées dans la première guerre mondiale.
Mais pourquoi tout cela finalement ? A travers cette politique de mondialisation, se trouve le soucis de répandre un idéal de civilisation, de modernisation de la société sur les plans technique, économique et scientifique. Les nations industrialisées aspirent à l’émancipation des techno sciences. Ainsi les philosophes, comme Condorcet dans le développement de sa théorie sur le progrès des esprits humains, croient en un idéal et en une unité du genre humain. En s’appuyant sur les expériences du passé, ils considèrent que le perfectionnement de l’humanité est façonné par l’équation suivante : la connaissance générale permet le développement du bien, du bonheur. C’est ce que l’on peut appeler l’optimisme des philosophes lumières. Il permet selon eux au genre humain de sortir de la barbarie, d’accéder à la liberté d’être, de choisir. Ce modèle de société se répand mais rend aussi par le même temps les personnes aveugles. Elles pensent un jour pouvoir maîtriser le mal ou se qui cause du mal comme les phénomènes naturels et le placer comme parti intégrante du bien.
Ainsi l’humanité marche à l’échelle du progrès. Kant décrit cette marche du genre humain par la téléologie : l’histoire de l’Homme est orientée vers le bien qui est une finalité pour lui. Par nature l’être humain est caractérisé par de mauvais penchants mais qui s’inscrivent toujours dans une histoire positive. Le progrès s’accomplit malgré nous. L’Homme croit en une unité cosmopolitique, au développement de l’esprit humain, à la rationalité. C’est ce modèle là qui selon les philosophes lumières doit influencer le monde entier, et répandre cette vision universelle de l’homme.
Toutes ces idées servent de base au colonialisme, aux politiques mondiales qui sont l’orgueil et la prétention culturelles des grandes nations qui veulent imposer leur idée de civilisation aux sociétés non occidentales. Notre rapport au monde, pensent-ils, doit être un rapport de maîtrise d’un idéal progressiste.
Que deviennent ces expériences progressistes ? La première guerre mondiale montre l’effondrement de ces expériences. En effet, l’équation selon laquelle la connaissance permet l’accès au bonheur et au bien, est destituée de sens par la première guerre mondiale. Et au contraire, il apparaît que ces progrès techniques et scientifiques apporte plutôt la barbarie que le bien. Cette première secousse civilisationnelle constitue un effritement des grandes valeurs progressistes. Elle a un impact psychologique fort, crée une crise de l’idéal de civilisation, et remet en question les valeurs d’ordre moral, intellectuel. Le mouvement surréaliste en est une belle expression. Les intellectuels s’expriment pour parler d’une crise de sens, avec le développement d’un sentiment de finitude. Paul Valéry exprime d’ailleurs ce sentiment de finitude à travers cette phrase écrite après la première guerre mondiale : « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortels … Nous sentons qu’une civilisation a la même fragilité qu’une vie.» Les sociétés sont construites sur des objectivités, et ceci au détriment de la sensibilité de la morale.
Vers quelle humanité allons nous ? Quelle société créons nous ? Edmund Husserl décrit cette idée que l’Europe fait mauvaise piste dans la « Crise des sciences européennes ». Cette science de fait crée une humanité de fait, qui perd et s’éloigne ainsi de l’homme. Cette remise en question de la raison historique constitue l’effondrement d’un idéal politique. Jean Jaurès, qui incarne cet idéal de progressisme, cette croyance en un idéal de civilisation, n’est-il pas assassiné en 1914 pour cela ? A ce moment précis, c’est un effondrement de la confiance que le citoyen avait en la politique.
En première conséquence, on assiste alors à une secondarisation de la politique par rapport à l’économique. C’est un tournant dans l’histoire. Maintenant, et surtout après la première guerre mondiale, il est plus préoccupant de maintenir un certain niveau économique que politique. En second lieu, le rapport de force Europe Etats-Unis s’inverse, et l’on va assister au déclin de l’Europe. Avant la première guerre mondiale, tout se décidait en Europe. Après cet affaiblissement de position, les pays européens ont recourt à l’emprunt aux Etats-Unis et voient leur dette s’envoler. Le rôle des Etats-Unis se renforce et ainsi émerge une nouvelle puissance. L’autorité de l’Europe décline, et son message qui dominait au 18ème et 19ème siècle, est remis en question. Dorénavant, les responsables politiques vont être jugés sur leur capacité à résoudre les problèmes économiques et moins sur leur façon de faire de la politique et leurs idéaux, comme l’explique Zygmunt Bauman, dans « Le coût humain de la mondialisation ».
Ainsi l’échec des politiques mondiales a donné plus de pouvoir à l’économique qu’au politique, et a vu l’américanisation des capitaux, et donc du pouvoir.